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11 décembre 2013

Annie Ernaux. La mémoire comme document

Le 9 janvier 2012, je suis intervenue devant le séminaire des doctorants de Paris 7, dont le thème de réflexion annuel était "Le document".

Annie Ernaux, la mémoire comme document

Bien qu’Annie Ernaux ait élaboré son écriture en référence à la sociologie et à l'ethnologie, il semblerait malgré tout que le document y est délaissé au profit de la mémoire subjective qui constitue la réelle source de la narration autobiographique. Dans le projet d'explicitation du fonctionnement social qui sous-tend les récits de cet écrivain, l'enjeu est avant tout de rendre compte d'un vécu qui relève de l'expérience, ce dont les documents considérés officiellement comme tels par les historiens ne peuvent permettre d'approcher. C'est donc ce rapport complexe au document et à la mémoire, qui implique un rapport dialectique à l'objectivité et à la subjectivité, que j’ai tenté d’explorer dans cette intervention. Comment le refus des documents au profit de la mémoire peut-il aboutir à une écriture pensée sur le mode ethnologique, donc à valeur documentaire ?

 Pour cette réflexion, mon attention s’est concentrée sur un récit, La Honte, paru en 1997, parce qu'il me semble le plus représentatif du rapport complexe de l'écriture d'Annie Ernaux au document. Dans ce récit, l'auteur tente de rassembler les souvenirs qu'elle garde de 1952, année de ses douze ans, pour mettre à jour le fonctionnement social implicite dans lequel elle était insérée et qui explique le sentiment de honte chronique qui l'habite encore au moment où elle écrit.

 Pour Annie Ernaux, la référence à l'écriture documentaire constitue d'abord un appui à l'élaboration d'une poétique personnelle construite dans le refus des normes littéraires reconnues. Les documents envisagés ne présentent qu'un intérêt très relatif pour la remémoration et la révélation d'un savoir sur le monde et sur la société. Il s'agit avant tout de points de départ pour une écriture qui recontextualise et restitue le non dit des données objectives. Si cette oeuvre a pu être considérée comme un document utile pour les spécialistes de sciences humaines, sa plus grande qualité réside dans son approche subjective de l'historicité, qui restitue le point de vue individuel dans le cours du temps en montrant à la fois comment le sujet est marqué par les données de son époque, et comment son expérience échappe aux représentations officielles. Cependant, on peut se demander aussi dans quelle mesure cette référence à une écriture de type documentaire ne constitue pas avant tout un excellent moyen de renforcer la fictionalisation de soi en transfuge de classe par excellence.

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